Jean-Baptiste Schroeder, avocat à Paris

La Cour d’appel de Paris refuse de reconnaître aux Inventeurs de la Grotte Chauvet la qualité de premiers publicateurs des peintures rupestres


Dans son arrêt du 6 février 2015, la 2ème chambre (pôle 5) de la cour d’appel de Paris a refusé de reconnaître aux Inventeurs de la Grotte Chauvet la qualité de premiers publicateurs des peintures rupestres.

Contexte, La découverte de la Grotte Chauvet

On se souvient qu’en décembre 1994, Madame Eliette Brunel, Monsieur Jean-Marie Chauvet et Monsieur Christian Hilaire (désignés ci-après par le terme « les Inventeurs » : ce terme qui est employé en droit de la propriété industrielle pour qualifier celui qui a réalisé une invention désigne, en droit des biens, celui qui a trouvé un trésor ou un objet perdu) avaient découvert au lieu-dit « La Combe d’Arc » sur la commune de Vallon Pont d’Arc, l’entrée d’une cavité dont la désobstruction permettait d’accéder à une grotte. La grotte qui sera baptisée « Grotte Chauvet » contenait des vestiges archéologiques d’une qualité exceptionnelle notamment des peintures et gravures pariétales datant de plus de 30.000 ans.

Cette découverte avait été suivie de très nombreuses procédures judiciaires: entre l’Etat et les propriétaires sur le montant de l’indemnisation due à ces dernier en contrepartie de l’expropriation engagée par l’Etat (cf. Civ 3ème, 18 novembre 2008, pourvoi n°07-17.240 rejetant le pourvoi contre Lyon, 10 mai 2007 qui avait alloué plus de 770 000 € aux propriétaires) ; entre différentes familles prétendant chacune être propriétaire des terrains au-dessous desquels se trouve la grotte  (cf.  Civ. 3ème, 15 juin 2010, pourvoi n°09-67358) ; enfin, entre l’Etat et les Inventeurs à propos du rôle joué par ces derniers dans la découverte de la Grotte et des conditions dans lesquelles l’Etat reconnaissait leurs droits (cf. La grotte des rêves brisés, page 135 à 141, Vanity Fair n°7 janvier 2014 cf. Civ. 3ème, 24 septembre 2014, n° pourvoi : 12-21.978).

Le film de Werner Herzog

Courant 2010, le réalisateur Werner Herzog (auteur notamment d’Aguirre ou la colère de Dieu et de Fitzcarraldo) a obtenu du ministère de la Culture et de la communication, l’autorisation de tourner un film documentaire dans la Grotte Chauvet.

 En parallèle aux démarches réalisées auprès du Ministère de la Culture et de la Communication, la société productrice du film s’est rapprochée des Inventeurs afin de leur proposer d’intervenir dans la réalisation du film au même titre que les membres de l’équipe scientifique, pour expliquer les circonstances de leur découverte. Pour lever leurs réticences, il leur avait été proposé de les rémunérer pour cette prestation et de les associer aux bénéfices tirés de l’exploitation commerciale du film. Les Inventeurs n’ont pas  cependant donné suite à cette proposition.

Intitulé « Cave of Forgotten Dreams » /«La Grotte des Rêves Perdus », ce film documentaire de 90 minutes, tourné en 3D, est sorti en France le 31 août 2011

La procédure engagée devant les juridictions parisiennes

C’est dans ces conditions que les Inventeurs avaient saisi le tribunal de grande instance de Paris pour voir sanctionnées les atteintes qui auraient, selon eux, été portées à leurs droits et, en particulier aux droits de premiers publicateurs dont ils prétendaient être titulaires.

Les Inventeurs soutenaient, en effet, qu’ils auraient vocation à bénéficier du droit sui generis prévu par l’article L. 123-4 du Code de la propriété intellectuelle du fait qu’ils auraient été les premiers publicateurs des peintures et gravures se trouvant dans la Grotte Chauvet, lesquelles constitueraient des œuvres de l’esprit au sens du Code de la propriété intellectuelle.

Cette prétention audacieuse n’a pas cependant été accueillie par les juges parisiens.

Analyse, Rappel sur le régime des « œuvres posthumes »

Le régime des œuvres posthumes (appellation critiquable dès lors que l’oeuvre en question a nécessairement été créée par l’auteur de son vivant ; la directive n° 2006/116/CE parle de façon plus appropriée des « oeuvres non publiées auparavant ») est organisé par l’article L. 123-4 du code de la propriété  intellectuelle , lequel prévoit deux hypothèse selon que  la publication a eu lieu avant ou après la fin du monopole de l’auteur (i.e. avant ou après une durée de soixante-dix ans courant à compter du 1er janvier de l’année civile suivant le décès de l’auteur).

Dans le premier cas, l’oeuvre sera protégée conformément au droit commun, c’est-à-dire que jusqu’à l’expiration du délai de protection des oeuvres publiées du vivant de l’auteur.

Dans le second cas, le monopole est attribué à la personne qui effectue la publication pour une durée de vingt-cinq ans à compter du 1er janvier de l’année civile suivant celle de la publication.

Motivation retenue par la Cour d’appel de Paris

Après avoir rappelé que l’article L. 123-4 du code de la propriété  intellectuelle , transposant la directive du 23 octobre 1993 s’applique quelle que soit la date de création de l’oeuvre et confère, en son alinéa 3, « aux propriétaires, par succession ou par d’autres titres, de l’oeuvre, qui effectuent ou font effectuer la publication » un monopole d’exploitation de vingt-cinq ans lorsque la divulgation intervient après l’expiration des droits patrimoniaux d’auteur, la Cour décide que les demandeurs à l’action n’établissent ni être propriétaires des œuvres  pariétales en cause (devenues propriété de l’Etat par suite de la procédure d’expropriation qu’il avait engagé) ni être les premiers à les divulguer.

Les premiers juges ont ainsi estimé que le droit sui generis prévu par l’article L. 123-4 du Code de la propriété intellectuelle ne pouvait être invoqué que par les propriétaires de l’œuvre posthume.

Cette la directive 93/98 CEE reconnaît en effet un droit d’exploitation à toute personne qui après la protection du droit d’auteur, publie licitement ou communique licitement au public pour la première fois une œuvre non publiée auparavant.

Les juges parisiens ont cependant estimé qu’ils étaient fondés à appliquer le texte français tel qu’il est du reste appliqué par la jurisprudence française (cf. Civ. 1ère 9 novembre 1993, pourvoi n°91-16286 rendu dans l’affaire des manuscrits de Jules Verne,). Ils ont estimé à cet égard qu’il n’y avait pas lieu d’interpréter à la lumière de la directive 93/98 puisque ce texte en est la transposition et que le législateur français avait la faculté de poser, comme il l’a fait, une condition supplémentaire (la propriété des œuvres) à l’octroi de la protection particulière qu’il accordait à ce bénéficiaire du droit d’exploitation – de démontrer, afin de satisfaire aux conditions posées par ce texte, qu’ils sont propriétaires par succession ou par d’autres titres des oeuvres pariétales en cause et qu’ils ont été les premiers à les divulguer ;

Sur ce point, la Cour d’appel de Paris reprend ainsi à son compte la motivation adoptée par  la Cour d’appel de Nîmes dans un arrêt rendu le 30 octobre 2001 dans le cadre d’une procédure qui avaient opposaient les Inventeurs à une agence de communication (Nîmes, 1ère ch. Sect. A, 30 octobre 2001, Sarl Ardèche Images productions / Chauvet et alii., Communication Commerce Electronique, nov. 2002, p 23, note Caron)

Sur le deuxième point, la Cour relève que « quand bien même cette grotte aurait été définitivement obstruée il y a 21.500 ans par des dépôts d’écroulement et quand bien même elle n’aurait pas servi de lieu d’habitation mais, en sa partie reculée où se concentrent les oeuvres, de lieu d’accomplissement de rites, il n’en demeure pas moins que des traces humaines ou des silex ou encore des traces de mouchage de torches propres à l’activité humaine y ont été retrouvés et que des datations aux carbone 14 attestent de productions s’étendant sur plusieurs milliers d’années ; qu’il y a donc déjà eu communication au public de sorte que les inventeurs ne peuvent être suivis lorsqu’ils se prévalent de la première divulgation de ces œuvres ».

Jean-Baptiste Schroeder


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