Jean-Baptiste Schroeder, avocat à Paris

Médecine et injure non publique : le statut des courriels adressés par un pédiatre à des confrères figurant sur une liste de diffusion interne


Publié le 9 mai 2014 par Jean-Baptiste Schroeder

Dans un arrêt du 9 avril 2014, la première chambre civile de la Cour de cassation s’est prononcée sur la qualification applicable à un courrier électronique adressé à une liste de diffusion interne.

 

Les faits

 

Un médecin  pédiatre avait diffusé un courriel à une liste de ses confrères traitant de la naissance de deux enfants nés prématurés à la suite d’une fécondation in vitro et soignés dans le service de néonatalogie de la clinique dans laquelle il exerçait.

 

Accompagné d’une photographie comprenant trois clichés, ce courriel exprimait, sur le ton du  « coup de gueule », le dépit et l’amertume ressentis par le médecin à l’égard de certaines pratiques médicales en cours dans son établissement.

 

Le pédiatre égratignait au passage le comportement des parents qu’il jugeait inconséquent voire irresponsable. Le médecin stigmatisait en particulier la possibilité offerte à tout un chacun de recourir aux fécondations in vitro pour soigner ses névroses :

 

«  Et ce n’est pas tout : à moins de 700g et avant le 15° jour de vie, déjà 2 laparotomies pour Lexomil (on peut appeler cette petite Lexomil car c’est un bébé médicament !). Qui lui ont soulagé d’1/3 son potentiel digestif ; Lexomil fera sensation avec sa xypho-pubienne, quand la jeune fille ira à la baie des Citrons. Si elle le peut. Pas évident le fauteuil à roulettes dans le sable. »)

[…]

Et qu’on ne me parle pas de fatalité! Le déroulement chaotique de cette grossesse, puis sa terminaison en catastrophe étaient inscrits dans le passif mental maternel, son environnement familial et son histopathologie utérine. Il suffisait simplement de prêter un minimum d’attention.

[…]

Maintenant, passons à une nouvelle plus réjouissante : une FIV sponsorisée par Marlboro!

Le petit garçon s’appellera Mégot. Vu le niveau d’addiction maternelle, on est bien parti pour lui tailler son beau chapeau de cow-boy dans un pot de yaourt.

La fille, Clopinette, dans une vingtaine d’années, se présentera au contour de Miss Glaviot. Cela fera une occasion de sortie à mère entre 2 chimios.

En attendant, on s’organise pour une longue séance de crapotage intra utérin… Intra utérin, pour l’instant.

Remarque, cela n’a pas dû être difficile de positionner la sonde d’insémination. Il suffisait de suivre la fumée.

Le Droit des Enfants, ça ne pèse pas bien lourd face au Droit A l’Enfant. »

 

Les parents en question (qui n’étaient pas nommément cités mais  étaient cependant identifiables par les précisions contenues  dans le courriel) à qui un des médecins destinataires avait transmis ce courriel, avaient assigné le pédiatre devant le juge civil pour injure non publique et violation du droit à l’image de leurs enfants.

 

Condamné en première instance et en appel, le médecin avait formé un pourvoi devant la Cour de cassation.

 

Analyse

 

La Haute juridiction approuve les juges du fond d’avoir estimé que le courriel litigieux ne présentait pas le caractère d’une lettre missive confidentielle dès lors qu’il avait été envoyé à une liste de diffusion ne comprenant que des médecins de l’hôpital ; mais censure en revanche la Cour d’appel d’avoir reconnu une atteinte au droit à l’image malgré l’absence d’identification des personnes représentées

 

Conformes à la jurisprudence établie, ces deux affirmations requièrent  néanmoins quelques explications.

 

1. Le courriel litigieux ne pouvait pas être considéré comme une correspondance privée

 

Le médecin exposait dans son pourvoi que le courriel litigieux constituait une correspondance privée et ne pouvait pas, de ce fait, tomber sous le coup de la diffamation ou de l’injure même non-publique.

 

Ce moyen est sèchement écarté par la Cour de cassation qui rappelle, conformément à sa jurisprudence, « qu’un écrit ne présente pas nécessairement un caractère confidentiel du seul fait qu’il est envoyé par un médecin à d’autres médecins.».

 

On sait que la loi attache des conséquences importantes au caractère public ou non des imputations diffamatoires ou des propos injurieux : tandis que les premiers sont prévus et réprimés par l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881, les seconds constituent une contravention définie et sanctionnée par le Code pénal (articles R.621-1 et R.621-2 du Code pénal).

 

A cette première distinction, s’en ajoute une seconde selon que les propos revêtent ou non un caractère confidentiel.

 

Le secret des correspondances s’oppose en effet à ce que des propos contenus dans un courrier privé puissent donner lieu à des poursuites même sur le fondement de la diffamation ou de l’injure non publique.

 

Selon une formulation désormais classique, la Cour de cassation décide que « les imputations diffamatoires contenues dans une correspondance personnelle et privée, et visant le seul destinataire de la lettre qui les contient, ne sont donc punissables, sous la qualification de diffamation non publique, que si ladite lettre a été adressée dans des conditions exclusives de tout caractère confidentiel » (cf. Crim 24 mai 2011, n°10-85.184 ; Crim, 11 avril 2012, n°11-87.688 ; Crim, 14 mai 2013, n°12-84.t42).

 

Tel était manifestement le cas dans l’espèce commentée. C’est donc très justement que la Cour d’appel avait pu estimer que « l’e-mail litigieux a été envoyé par le Docteur C. à une liste de diffusion de médecins de l’Hôpital Magenta » ; et en déduire qu’il « ne présente donc pas le caractère d’une lettre missive confidentielle ».

 

La Cour d’appel avait donc estimé l’injure litigieuse présentait un caractère non-public dès lors qu’elle était contenue dans un courriel adressé à une liste de diffusion ne comprenant que des personnels médecins de l’hôpital.

 

Ce faisant, la Cour d’appel avait fait application de la notion de communauté d’intérêts, définie, pour ce qui concerne la diffamation et l’injure, comme la situation dans laquelle, « par une appartenance commune, des aspirations ou des objectifs partagés, les personnes ayant à connaître d’un propos diffamatoire forment une entité suffisamment fermée pour ne pas être perçues comme des tiers par rapport à son auteur » (Y. Mayaud : Rev. sc. crim. 1998, p. 104)

 

On relèvera que cette même raison avait du reste conduit la Cour d’appel à considérer que cette diffusion s’insérait « dans le cadre d’échanges professionnels » et qu’aucune violation du secret médical ne pouvait dès lors être reprochée au médecin.

 

Ce faisant, les juges du fond avaient fait une application singulièrement extensive de la notion de secret partagé.

L’article L.1110-4 du code de la santé publique issu de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades prévoit, de façon stricte, que :

« Deux ou plusieurs professionnels de santé peuvent toutefois, sauf opposition de la personne dûment avertie, échanger des informations relatives à une même personne prise en charge, afin d’assurer la continuité des soins ou de déterminer la meilleure prise en charge sanitaire possible. Lorsque la personne est prise en charge par une équipe de soins dans un établissement de santé, les informations la concernant sont réputées confiées par le malade à l’ensemble de l’équipe. »

Au cas particulier, la personne concernée n’avait évidemment pas été avertie ; et on pouvait s’interroger sur le point de savoir si « l’échange d’information » poursuivait l’objectif « d’assurer la continuité des soins ou de déterminer la meilleure prise en charge sanitaire possible ».

 

 

2. S’agissant de l’absence d’identification des personnes représentées sur les photographies

 

La Cour d’appel avait retenu que « le pédiatre a pris l’enfant en photo, sans l’autorisation des parents, puis a joint cette photo à son e-mail. La captation de l’image et sa diffusion, sans aucune autorisation, constitue une atteinte à la vie privée ou au droit à l’image et ouvre droit à réparation. Le préjudice subi par l’enfant est évalué à 100 000 FCFP. »

 

Ce motif est sévèrement censuré par la Cour de cassation qui rappelle, au visa de l’article 9 du Code civil , que la captation d’une photographie et sa reproduction ne peuvent constituer une atteinte à la vie privée et au droit à l’image ouvrant droit à réparation si la photographie ne permet pas d’identifier la personne représentée.

 

Relevant que « la photographie litigieuse qui représentait une main d’adulte enfonçant une seringue dans un orteil de nourrisson ne permettait pas d’identifier Danaé Y… », la Cour de cassation en déduit « qu’elle ne pouvait constituer l’atteinte à la vie privée et à l’image invoquée ».

 

L’affirmation de la Haute juridiction est pour le moins tranchée.

 

Or, l’hésitation était permise car la question est à la vérité complexe et les solutions apportées par la jurisprudence nuancées.

 

La Cour de cassation admet certes qu’il n’y a pas d’atteinte à l’image si l’individu n’est pas identifiable : ce sera le cas par exemple lorsque cet individu figurera dans un groupe ; ou lorsque les conditions de reproduction de l’image ne permettent pas d’identifier le sujet représenté.

 

Comme le rappelle le Professeur Lepage (Agathe Lepage : « Personnalité (droits de la) », Encyclopédie civile Dalloz, §227 et s.), « L’objet des droits de la personnalité est la défense de la personne. Dès lors, pour qu’il y ait atteinte à un droit de la personnalité, il faut qu’une ou des personnes déterminées soient identifiées, à tout le moins identifiables. L’absence d’identification de la personne qui prétend être victime d’une atteinte à un droit de la personnalité est sanctionnée par l’irrecevabilité de l’action (TGI Nanterre, 13 mars 2008, Légipresse 2008, I, p. 80). »

 

On peut citer à cet égard un arrêt du 5 avril 2012  (Civ. 1ère, 5 avril 2012, n°11-15.328) rejetant les demandes dirigées contre une société qui avait fait figurer sur l’emballage de morceaux de sucre la photographie d’un danseur réalisée lors d’un spectacle de danse : la Haute juridiction a approuvé la cour d’appel d’avoir relevé que la très petite taille du visage sur les reproductions -trois millimètres sur deux- ajoutée à la mauvaise définition générale de l’image ne permettaient pas d’identifier la personne représentée ; et interdisaient à celle-ci de se plaindre d’une quelconque atteinte à son image.

 

La jurisprudence a pu, à l’inverse, reconnaître que la reproduction même parcellaire d’une personne peut constituer une atteinte au droit à l’image dès lors que la personne représentée est reconnaissable.

 

Le principe a été posé par des jugements anciens à propos de la reproduction d’une silhouette ou même d’un détail du corps (cf. TGI Seine, 3ème ch., 25 juin 1966 : JCP G 1966, II, 14875, 2e espèce, note R. Lindon, pour un agrandissement opéré sur un détail physique de la main).

 

À l’opposé, il a été jugé que l’atteinte est constituée, même si la personne n’est pas reconnaissable sur l’image, dès lors qu’une légende précise son identité (cf. à propos d’un avocat photographié de dos Civ. 2ème 5 mars 1997, n°95.14503).

 

Au cas particulier, seul l’orteil du nourrisson était semble-t-il visible sur la photographie jointe au courrier électronique. On ne pouvait dès lors pas considérer qu’une quelconque atteinte était portée à sa vie privée (on pourrait du reste épiloguer sur la notion de vie privée chez un nourrisson). Mais, le bébé était assurément identifiable par les destinataires du courriel comme l’étaient ses parents, ce que les juges du fond avaient admis sans difficulté et sans être censuré par la Cour de cassation.

 

On peut dès lors se demander s’il n’était pas contradictoire de la part de la Cour de cassation de reconnaître que les victimes étaient suffisamment identifiables pour demander réparation de l’injure non-publique dont ils avaient été victimes ; mais pas suffisamment identifiées pour se plaindre d’une atteinte à leur image.


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